Cruz Velacuy - Tradition Cusco

Cruz Velacuy

Dans la nuit du samedi 2 au dimanche 3 mai s’est déroulé, comme chaque année à Cusco, les festivités de la Cruz Velacuy. Focus sur cette tradition aux origines lointaines mais au présent ancré dans la culture andine.

La nuit vient de tomber sur Cusco, après un coucher de soleil époustouflant comme il est courant d’en voir en ce mois de mai. Il est 18 heures, et rien ne laisse encore présager l’événement qui se prépare dans les rues de Cusco, l’ancienne capitale de l’empire inca. Dans le centre-ville, les touristes se sont retrouvés sur la place d’Armes, animée par une fanfare locale. C’est samedi soir, et la nuit promet d’être agitée pour une majorité d’entre eux…

Pourtant, il suffit de s’éloigner de quelques pas. Là, dans un recoin de la place, contre le flanc de la cathédrale, on s’affaire autour de deux antiques croix de bois dans un silence recueilli. Des fleurs, mais aussi des rubans, des étoffes et des bougies sont placées sur et autour de ce symbole religieux hautement vénéré par les habitants de Cusco depuis l’introduction du christianisme en leur terre. Elles sont plus de cent cinquante, ces croix adorées durant la nuit de la Cruz Velacuy. Quelques-unes se trouvent dans le centre-ville, mais beaucoup, implantées à Cusco au cours des cinquante dernières années, sont situées dans les quartiers des migrants ruraux les ayant amenées de leurs villages. Certaines sont vénérées publiquement, puisqu’elles sont accessibles à tous, placées généralement dans les rues ou devant une église ; et d’autres le sont en privé, dans des arrière-cours où elles ont été placées il y a des siècles ou des décennies par de très croyants citoyens.

Les premiers fidèles se sont rassemblés autour des deux croix de la cathédrale. Comme c’est la tradition, une personne ou une famille a été désignée pour prendre en charge les dépenses et l’organisation liées à cette veillée. On reconnaît le carguyoq et les siens aux chaises sur lesquelles ils sont assis, la nuit promettant d’être longue. Devant certaines croix, on a aussi empilé des caisses de bière, qui seront bues avant l’aube : la tradition de la veillée des Croix ne signifie pas seulement recueillement. C’est aussi, et surtout, une façon de célébrer.

On peut faire remonter l’origine de cette tradition à l’Europe antique. Bien avant l’ère romaine, les Phéniciens et les Grecs célébraient, à cette époque de l’année, la venue du printemps. Le début du mois de mai indiquait la mise au pâturage des troupeaux. Les premières fleurs printanières coloraient les campagnes. De grandes festivités avaient alors lieu, appelées « Fêtes de Mai », au cours desquelles un arbre était paré de rubans dans un désir commun de fêter la Nature et le retour du printemps après un hiver rude et infertile. Avec l’avènement du christianisme en Europe, les « Fêtes de Mai » devinrent les « Croix de Mai », encore largement célébrées en Andalousie de nos jours. L’arbre et le totem furent tout simplement remplacés par la Croix. Fervents catholiques, les Espagnols importèrent en Amérique la tradition devenue celle du « 3 mai ». Au Pérou, et plus particulièrement à Cusco, elle se mêla facilement aux festivités incas liées aux premières récoltes de l’année, qui correspondent elles-mêmes au moment où la constellation de la Croix du Sud, ou Chakana, se voit le mieux dans le ciel nocturne. C’est ainsi que les dizaines de Croix plantées sur d’anciennes huacas (lieux sacrés précolombiens) sont encore vénérées aujourd’hui. Bien que les saisons andines soient inversées par rapport à celles qui rythment l’Europe, un point commun fut trouvé entre les traditions : la Nature et sa bonté envers l’Homme.

Résultat d’un passé riche et lointain, la fête de la Cruz Velacuy traduit jusque dans son nom,  le syncrétisme religieux qu’elle symbolise :  « Velacuy » est en effet l’amalgame du verbe espagnol « velar » (veiller) et du quechua « cuy ». Le 3 mai reste le jour central de cette célébration, durant lequel on prie, on mange et on rend hommage à la Croix. Mais c’est la veillée de la nuit précédente qui est la plus importante : reste des traditions locales liées à l’observation de la voûte céleste.